Sujet: Eclat de Lune | Physique, histoire Ven 23 Déc - 22:43
CARACTÈRE : Un caractère… je n'en ai pas. En fait, je suis une chose puis son contraire. Commençons donc par les traits qui varient le plus chez moi. Je suis aussi généreuse qu'égoïste. Tu vois je peux te demander si tu veux bien de mon aide pour une quelconque affaire et, une seconde plus tard, alors que tu m'aurais accordé ton assentiment, je te dirais d'aller te faire voir. Mais ne le prend pas personnellement, cela n'a rien à voir avec toi, je suis comme ça je n'y peux rien. Je te fais peur ? Pauvre chou. Je suis aussi loyale qu'infidèle. Alors, mettons les choses au point. Je serais toujours loyale à mon Clan, c'est inscrit dans mes gènes ça. Cependant, je ne suis pas toujours loyale aux membres de mon Clan. C'est pourquoi il ne vaut mieux pas tomber amoureux de moi, vous risqueriez d'être déçu à moins que vous ne me supportiez ce qui est rare. Les secrets ne me sont donc confiés que rarement… Je peux être aussi compréhensive qu'impassible. Je peux venir te voir, toi, chat seul dans sa déprime, je t'offrirais une écoute sans faille suivie d'une aide que tu n'aurais jamais osé rêver et là,j alors que tu me raconterais ton dernier malheur en date, la mort de ton fils tant désiré, tant aimé, tu n'obtiendras alors de moi qu'un regard inexpressif, une indifférence qui te déchirera le cœur et l'emplira d'incompréhension. Je suis aussi patiente qu'impatiente. Sérieusement, ne me demandez jamais de participer à des plans d'observation. Parce que, voyez-vous, pendant une minute je resterais là, à mon poste, bien gentiment à attendre et la fraction de seconde d'après j'aurais disparu, j'aurais déjà attaqué l'ennemi. Alors voilà, quand on sait, en plus, que je suis particulièrement agressive lorsque l'adrénaline me parcourt, on évite de me placer en observation mais plutôt dans les groupes d'attaque. Mon caractère n'est pas stable comme vous avez pu le remarquer. Je suis déconcertante. Je peux être tout à fait normale un instant et puis, le suivant, je fonds en larmes. Je peux aimer pour ensuite détester, je peux m'intéresser puis me désintéresser, je peux aider puis délaisser et tout cela en à peine une fraction de seconde, en un battement de cœur, en une inspiration. Cependant, j'ai quand même quelques traits qui ne changent pas et ne changeront jamais. Je suis sarcastique, cela est indéniable. Je ne peux me passer de l'ironie et des sarcasmes qui vont avec, c'est tout simplement ma vie entière qui se base là-dessus. Eh. Arrêtez de me juger. Certains fondent leur vie sur leurs ambitions sanguinaires, moi je préfère les sarcasmes, c'est tout mais ça n'est pas pour autant que je passe mon temps à railler les autres et à me moquer d'eux, non. Je ne suis pas spécialisée dans le harcèlement je vous ferais dire. Quoi d'autre… Ah oui. Je suis pessimiste. Tout le temps. J'ai toujours eu du mal à voir la vie comme quelque chose de bien, comme une chance, j'ai toujours eu un avis négatif sur le monde ou les choses qui m'entourent, je suis comme ça. Pour moi, l'espoir n'est qu'une illusion. Ça n'existe pas et ça ne peut en aucun cas mener ta vie. Je suis dépourvue de tout optimisme et les idées noires se bousculent dans mon crâne. Je pense à mourir. Souvent. Trop souvent. Je pense à comment, où et quand. Je pense à chaque détails mais je n'ai jamais le cran de passer à l'acte. Sinon je serais déjà morte une bonne trentaine de fois. C'est si facile de se noyer ou de percuter un monstre vous n'imaginez pas… Bon, comme vous avez été sages et que vous m'avez écouté jusqu'au bout pour le moment, je vais vous donner un dernier trait de caractère collant avec moi. Je suis mystérieuse. Je suis un mystère à moi toute seule. En fait, je ne l'ai jamais vraiment voulu, c'est venu bien malgré moi, je vous assure. En fait ça a commencé lorsque mon apprentissage est devenu un calvaire. À cause de certaines choses dont je vous parlerais plus tard. Depuis, je ne me suis plus jamais ouverte à qui que ce soit, je ne fais confiance qu'à peu de gens et encore, c'est beaucoup dire sachant que ma confiance est quasiment inexistante. J'ai en quelque sorte perdu ce qui faisait de moi quelque chose de normal. Quelque chose s'est cassé en moi et rien ne peut me réparer
HISTOIRE : À partir de ce moment-là, tout a commencé à basculer. Rien ne me semblait important, je délaissais tout. Ma sœur, mon père, mon mentor, ce que j'étais. Ma vie n'avait plus aucune importance. Ma sœur se mourait et son état empirait à vue d’œil. Elle pouvait à peine sortir de la tanière du guérisseur alors s'entraîner… personne n'y pensait. Ma mère était morte et mon père faisait son possible pour surmonter cette épreuve tandis que je ne parvenais pas à faire mon deuil. Mon mentor me regardait souvent en secouant la tête, l'air résigné. Généralement, presque personne ne se risquait à me parler. J'étais de très mauvaise humeur et ce, tout le temps. Je ne supportais aucune critique, aucune remarque, aucun reproche, rien. Aujourd'hui malheureusement, installée et me morfondant dans la tanière des apprentis, quelqu'un osa me déranger. Nuage des Corbeaux. De deux lunes mon aîné, il avait un pelage noir de nuit et des yeux d'un bleu remarquable, il était très apprécié et, à ce qu'on disait, il possédait une grande intelligence et serait l'un des meilleurs stratèges du Clan. C'est ça. Comme s'il pouvait être supérieur à Étoile Flamboyante et Tache de Sang. La star s'avança vers moi et se racla la gorge. Je ne tournais pas la tête, focalisée sur le bord de ma litière de mousse. Je me fichais de lui, de sa présence, de ce qu'il représentait, de ce qu'il foutait là, de tout ce qui le concernait.
Nuage Lunaire ?
Va-t-en.
Tu voudrais pas sortir ? On te voit plus, on aimerait bien que tu reviennes. Que tu retrouves un peu ta joie de vivre et que tu sois un minimum heureuse. On dirait que tu ne veux pas essayer de te remettre toute seule alors laisse nous au moins…
Quoi ? Vous laisser au moins quoi ? M'aider ? Je veux pas de votre aide. Je m'en fous.
Nuage Lunaire, écoute…
Non toi écoute ! Je suis fatiguée d'être ce que vous voulez que je sois pendant que je me sens couler, je sais pas ce que vous attendez tous de moi. Ma mère est morte et vous voudriez que j'oublie ça ? Parfois j'aurais juste envie qu'on me fiche la paix, je suis devenue si engourdie, je ne ressens pratiquement plus rien, je suis si fatiguée, comment est-ce que je suis encore consciente hein ?
Je ne sais pas. Ce que je sais c'est que tu ferais mieux de venir avec nous, on s'amuse.
C'est ça le problème. Je ne veux pas m'amuser sombre crétin.
Je voulus me lever, sortir et courir, fuir du camp, aller me réfugier loin dans la forêt, aller me nicher dans le creux d'une branche d'arbre, aller n'importe où ailleurs mais pas ici. Il me barra le passage.
Je te conseille vivement de déguerpir de mon chemin.
Non. Tu vas venir avec moi, tu vas venir rigoler avec moi et les autres apprentis, tu vas reprendre goût à ta vie.
Mais quelle vie ? Vous êtes tous aveugles ou quoi ? Tu crois vraiment que je peux sourire de nouveau ? C'est impossible. Je peux pas être comme toi et je ne le veux pas d'ailleurs. J'aimerais être plus comme moi et moins comme toi si tu veux tout savoir. Je ne m'amuserais pas ce soir fin de la discussion. Maintenant dégage.
Il s'écarta et hésita pendant une seconde. Une seconde, c'était tout ce qu'il me fallait. Je bondis au dehors, le poussant sur la côté encore plus qu'il ne s'était décalé. Aussitôt, je fus agressée. Pas physiquement, moralement. Comme un orphelin débarquant dans la pouponnière. Comme un ermite débarquant dans un camp plein de vie. Comme une anomalie. Une erreur. Les larmes me montèrent aux yeux et, sans plus attendre et feignant de ne pas entendre les voix enjouées des autres apprentis qui m’appelaient, je m’élançais et sortais en trombe du camp. Je m’enfonçais dans la forêt, toujours plus loin. Je m’arrêtais non loin des grands pins, me nichant sur les racines de l’un d’eux. Je fermais les yeux et respirais profondément, tout ce dont je souhaitais, là maintenant, ce serait de dormir toute l’éternité et de ne me réveiller que lorsque la vie craindra moins. Ouais. Jamais en fait. Je soupirais. Un raclement de gorge interrompit mon soupir. Allons bon. Qui venait encore me faire la morale ? J’ouvris les yeux et je me retournais, les yeux emplis d’un sentiment de défi. Pour me retrouver nez à nez avec un guerrier de mon Clan. Croassement des Corbeaux. Histoire de le présenter rapidement, c’est un guerrier depuis environ onze lunes, sans apprenti, apparemment impulsif mais généreux et assez à l’écoute. Je ne lui avais jamais parlé et je ne voyais pas pourquoi je commencerais à le faire aujourd’hui.
Va-t...
Si tu veux que je m’en aille, je m’en irais.
Alors vas-y.
C’est vraiment ce que tu veux ? T’es vraiment sûre de n’avoir pas envie que quelqu’un t’écoute ou vienne t’aider ?
Je sais pas.
Parle.
À cet instant, j’aurais pu lui dire d’aller se faire voir, j’aurais pu lui dire que je n’en avais rien à faire de lui, j’aurais pu l’envoyer balader. Mais je ne l’ai pas fait, non. Non, je suis restée là, je me suis relevée, j’ai respiré un grand coup et j’ai fait une chose. J’ai parlé.
Ma mère est morte.
Je sais.
Chut. En fait... j’ai l’impression que ce que les gens attendent de moi, c’est que je tourne la page, que je passe à autre chose, que je laisse ça derrière moi.
Et ils ont tort d’après toi ?
Oui et non.
Explique.
Ils n’ont pas tort parce que la mort c’est... une réalité de la vie et que tout le monde meurt donc on doit s’y faire même si on ne le veut pas. Mais ils ont tort parce qu’on n’a pas tous les mêmes réactions et que moi, je n’arrive pas à l’accepter. Ça voudrait dire que si ma soeur meurt je devrais oublier ? Si mon père meurt je devrais en faire de même ? Si tous ceux qui me sont chers meurent aussi ? Désolée mais je ne veux pas.
Ne sois donc pas désolée. Je ne pense pas la même chose que toi mais je comprends quand même ton point de vue.
Qu’est-ce que tu penses toi ?
Tu ne le sauras probablement jamais.
Je levais les yeux au ciel. Ridicule. Mais bon, à vrai dire, parler avec lui m’avait quelque peu allégé de ce fardeau invisible que je transportais depuis quelques temps déjà.
Merci.
Il hocha la tête, ayant l’air de comprendre. Sans plus de cérémonie, je repartais doucement en direction du camp. Je regardais dans le vide, ne marchant pas droit, laissant mon esprit vagabonder. Croassement des Corbeaux n’avait pas laissé paraître de jugement à mon égard. Contrairement aux apprentis et à sans doute une bonne partie des membres du Clan. Tous des inconscients. Je secouais la tête. Non. À tous les coups je me trompais lourdement, il était comme les autres. Si jamais on devenait amis lui et moi, il finirait par me lâcher, comme tout le monde. Je soupirais et pénétrais dans le camp. Personne en vue. Tant mieux. Je ferais tout aussi bien d’aller me recoucher.
~ ~ ~
Deux semaines passèrent sans que je ne me décide à changer. Mais ce matin, quelque chose, une chose que j’ignorais cependant toujours, avait fait tilt dans mon esprit. Mon enthousiasme était revenu, plus fort que jamais et j’en fis bien profiter mon mentor durant nos entraînements ainsi que les autres apprentis. J’aidais ma sœur comme jamais je ne l’avais fait auparavant même si je savais que, pour elle, tout était vain. Elle allait mourir et personne n’y pouvait rien malgré les herbes médicinales dont la bourrait le guérisseur. Tandis que le temps passait, je semblais aller mieux. Semblait. Car en réalité, il n'en était rien. Je ne dirais pas que je souffrais mais presque. Chaque jour, dire bonjour, oui ça va, tu viens on va chasser, la chasse est bonne, bon appétit, je vais m'occuper des anciens, non laisse moi faire, va te reposer, je t'aime, bonne nuit, chaque jour voir ma sœur de plus en plus maigre, de plus en plus faible... Elle qui était si énergique avant n'est plus que l'ombre d'elle-même, un fantôme. Elle se blesse physiquement très facilement et moralement encore plus. Sa maigreur se voit, ses côtes saillent et ses yeux... Par le Clan des Étoiles, ses yeux n'ont plus aucun éclat. Elle est en train de mourir et on ne peut rien faire. Je ne veux pas perdre ma sœur après ma mère. Mon père ne s'en remettrait pas et moi non plus. Mais on ne peut rien y faire n'est-ce pas ? Alors je me concentre sur moi, sur ce que je dois dire, penser, faire et comment. Je contrôle chacune de mes actions, ne laisse transparaître aucun sentiment négatif, je ne laisse passer que les émotions positives quand bien même je les simule. L'amitié, le rire, l'optimisme, la vivacité, tout ça n'est plus que factice. Et parfois, quand je ne peux plus supporter ces fausses émotions, ces émotions que je construis moi-même, je prétends aller chasser tandis que je m'arrête près du ruisseau qui traverse le territoire et je laisse éclater ma colère, ma haine et ma détresse. Je marque les arbres et la terre de mes griffes, je frappe les buissons, l'eau, les pierres, je mords des racines, je me démène comme une forcenée et je ne m'arrête que lorsque je redeviens véritablement calme et sereine. Lorsque je ne me défoulais pas, lorsque je ne m'entraînais pas, lorsque je n'étais pas au camp, j'étais avec Croassement des Corbeaux. Une véritable amitié s'était installée entre nous, je lui faisais confiance, il me faisait confiance, on pouvait parler des heures sur de sujets banals tels que la chasse, les patrouilles, la forêt, les Clans mais aussi sur des sujets dont personne ne voulait jamais parler, les chats domestiques sont-ils tous des cervelles de souris ou si un jour, les Clans pourraient s'entendre ou encore, qu'est-ce que ça serait de partir loin, loin d'ici et de ces règles. On était bien ensemble. Au bout d'un moment, alors que, cette fois-ci, j'allais vraiment un peu mieux, Nuage d'Automne commença à se rétablir, tout doucement certes, mais à se rétablir quand même. Elle reprit visiblement du poids et ses yeux brillaient de nouveau. Cependant, parfois, je la surprenais en train de parler, de rire, de plaisanter. J'aurais dû être contente pour elle. Le seul problème c'est qu'elle était seule et qu'elle semblait s'adresser à quelqu'un. Était-elle devenue folle ? À un quart de lune avant la fin de notre apprentissage... Ce quart de lune passa terriblement vite tandis que je progressais et que je la regardais revivre avec son ami imaginaire. Le guérisseur m'avait dit de ne pas m'en faire que ça pouvait être un contrecoup de la maladie ou de la solitude à laquelle elle avait été contrainte lorsque, moi non plus, je n'allais pas bien.
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J'ai douze lunes. Je suis en pleine veillée. Mon nom est à présent Éclat de Lune. Ma sœur, elle, se nomme Fragrance d'Automne. Tout semblait bine se passer jusque là, la nuit était bien entamée. À côté de moi, je voyais Fragrance d'Automne qui serrait les dents et qui tremblait furieusement. Contrainte par le silence qui nous était imposé lors de la veillée, je lui lançais un regard interrogateur et elle haussa les épaules. D'un signe du menton, je lui indiquais l'antre du guérisseur et elle acquiesça avec vigueur, une lueur de peur dans les yeux. Je m'empressais donc d'aller trouver celui qui pourrait nous aider. Quand je revins avec notre "sauveur", ma sœur était étendue dans la neige, inconsciente. Vivante mais inconsciente. Avec de la fièvre. De la toux. Le nez qui coule. Des courbatures. Elle avait tout les symptômes du mal vert.
Il y a des choses en lesquelles on croit d'autres non. Certains ne croit pas en le Clan des Étoiles, moi si. Alors, chers ancêtres, vous qui nous protégez, vous qui faites survivre les Clans saison après saison, sauvez là. Je sais que sa vie ne vaut rien comparé à celles de la forêt entière mais pas ce soir, pas aujourd'hui, pas à cet âge là. Elle n'a que douze lunes, elle vient à peine d'être nommée guerrière, elle a toute la vie devant elle, elle a une famille à construire, un Clan à défendre, des disputes à me faire subir et des rires à me faire partager, on a nos moments à venir, je l'aime, elle ne peu pas mourir maintenant, je vous en prie, pas maintenant. Laissez la vivre encore des lunes et des lunes. Laissez la tranquille.
Trois semaines plus tard elle était morte. Oh, elle avait guéri du mal vert, oh ça oui. Mais de sa maladie originelle qui n'était jamais vraiment partie ? Oh non. Elle y avait succombé à celle-là. Alors qu'on la portait en terre, je ne pleurais pas. Alors que l'on m'observait du coin de l’œil, je ne craquais pas. Alors que l'on me réconfortait, moi et mon père, je ne parlais pas. Non. Rien de tout cela. En moi il n'y avait plus haine et rancœur. J'avais demandé du temps pour elle. Trois semaines. Trois semaines. Trois semaines où elle agonisait. Trois semaines où elle mourait à petit feu. Trois semaines d'impuissance. Trois semaines de souffrance. J'aurais bien voulu craquer, parler, hurler, crier, pleurer, gémir, refuser, me battre. Je ne pouvais plus que penser et réaliser. Réaliser ce que j'avais perdu. J'avais perdu ma sœur, une partie de moi-même, j'avais perdu son odeur, sa voix, son image qui se dissipait dans mon esprit, ses rires, ses sourires, ses larmes, ses moments difficiles comme ses meilleurs moments, j'avais perdu sa présence à mes côtés, sa façon qu'elle avait de me regarder avec bienveillance, sa façon de me réconforter, parfois, quand ça n'allait pas, sa façon de rassurer les autres quant à sa maladie, j'avais perdu tout ce qu'elle représentait, une sœur, une amie, une meilleure amie, la meilleure partie de moi-même, je n'étais plus qu'une planète privée de soleil, froide et vide. Elle avait tout emporté sur son passage, tout, mon amour pour elle, ma colère contre elle, ce que je ressentais, elle a tout pris pour ne laisser qu'un vide, qu'un fatras d'émotions entremêlées.
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Les lunes passèrent et, bientôt, j'avais maintenant de dix-neuf lunes, presque vingt. Étoile Flamboyante se faisait vieux, aussi, il regagna la tanière des anciens tandis que Tâche de Sang montait en grade. Étoile Sanglante. La nouvelle lieutenante était Cœur de Pierre. Tout cela m'était bien égal. Au fil du temps, cependant, j'avais appris à me défaire de ma peine et je commençais peu à peu à oublier la douleur de la perte de ma sœur bien que son souvenir reste bien ancré dans ma mémoire, je ne veux pas l'oublier. J'ai changé néanmoins. Bipolaire comme on dit. Je suis quelque chose et ensuite son contraire et cela me semble normal. Je ne peux pas lutter contre quelque chose qui me semble normal. Quelques chats ne peuvent plus me supporter et ça me fait rire. Il y a quelqu'un qui y arrive pourtant. Croassement des Corbeaux. Malgré nos onze lunes d'écart, notre amitié s'était peu à peu transformée en un amour compliqué et foutrement tordu. On se ressemble tellement que nous nous comprenons parfaitement alors l'âge, peu importe. Nous nous en fichons tellement que ça n'a pas été un problème pour lui ni pour moi de découvrir que j'étais pleine et que, dans neuf semaines, nous serions parents. Trois lunes plus tard, un unique et tout mignon petit chaton naissait dans le Clan du Tonnerre. C'était une femelle, fille unique, elle avait un pelage noir et roux et les yeux ambrés de son père. Elle se nommait Petite Nyctale. Elle s'intégrait bien, elle jouait avec les autres chatons, ne dérangeait pas les autres reines, allait écouter les histoires des anciens, plusieurs fois elle est sortie du camp, plusieurs fois j'ai dû la punir, je l'aimais tellement. J'y tenais comme à la prunelle de mes yeux. Sauf que tout a déraillé encore une fois.
Tout allait bien, elle était passé de Petite Nyctale à Nuage de Nyctale, son apprentissage allait bon train, elle avait des amis, elle s'amusait, elle s'entraînait, elle ne se plaignait que peu, elle venait souvent me parler, on parlait d'elle, de ses efforts, de son mentor, de la chasse. On parlait de tout et, alors qu'elle eut treize lunes, elle aurait dû devenir guerrière. Elle aurait dû. Elle aurait été Œil de Nyctale. Elle aurait été ma fierté, elle aurait été la fierté de son père, du Clan, elle aurait été la compagne et la mère de quelqu'un, elle aurait été la meilleure amie d'une autre, elle aurait eu une existence aussi paisible que celle que les Clans offraient à leurs membres. Mais non. Il a fallu que son évaluation la mène jusqu'au chemin du tonnerre. Il a fallu qu'elle veuille à tout prix ce foutu écureuil. Il a fallu qu'il y ait un monstre. Il a fallu qu'elle le percute. Il a fallu qu'elle meure.
Je m'en remets difficilement. Je ne suis plus moi. Je suis quelqu'un d'autre dans un corps qui m'est inconnu. Je suis un fantôme. Le coup fatal m'a été porté il y a deux heures. Je revois la scène dans ma tête.
C'est mieux pour nous.
Je sais.
Alors c'est fini.
Vraiment ? Je ne peux pas.
Tu pourras.
On verra.
Les disputes s'était enchaînées, je savais que c'était ce qu'il fallait. Mon cerveau l'a compris mais pas mon coeur.
Je pensais avoir été blessée auparavant Mais jamais personne ne m'a laissé cette douleur Tes mots coupent plus profondément qu'un couteau Maintenant j'ai besoin de quelqu'un pour me ramener à la vie J'ai le sentiment que je coule Mais je sais que je vais m'en sortir vivant Si j'arrête de t'appeler mon amour Et passe à autre chose Tu m'as regardé saigner jusqu'à ce que je ne puisse plus respirer Je tremble, tombant à genou Trébuchant sur moi-même, Je souffre, te suppliant de venir m'aider Et maintenant que je vis sans tes baisers Je vais avoir besoin de points de suture Comme un papillon de nuit attiré par la flamme Oh, tu m'as attirée, sans que j'en ressente la douleur Ton cœur amer, froid au toucher Maintenant je vais récolter ce que j'ai semé Je suis laissée seul, voyant rouge
J'ai toujours cru que l'existence, il fallait la vivre, j'ai toujours cru qu'être heureuse ou du moins faire semblant de l'être était la solution. Et j'avais raison. Parce que si tu laisses la tristesse ou la colère te ravager ne serait-ce qu'une seule seconde, les autres essaient de te réconforter ou alors, ils te lâchent, te laissent tomber. C'est quand tu es ravagée, que tu es au bout du rouleau que les autres t'abandonnent, c'est quand tu as le plus besoin de quelqu'un qu'il n'y a personne. Alors tu dois te débrouiller seule, tu dois lutter, te battre pour refaire surface et tout cela seul. Tu connais tes hauts et tes bas avec personne pour t'encourager et te soutenir, personne ne comprend l'importance que ça a, ils se contentent de passer à côté de toi, se contente d'un "ça va" peu convaincu et passent leur chemin. Tu n'es rien pour eux. Tu les écoutes, tu les laisses t'ennuyer de leurs problèmes qui te paraissent alors insignifiants comparés aux tiens et tu les regardent partir, satisfaits. Tu es leur psychologue et lorsque tu oses protester on te traite d'égoïste. Tu ne sers à rien. Tu n'es rien.
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Cœur de Pierre est morte. Étoile Sanglante a fait monter Torture Machiavélique au rang de lieutenante. Je m'en fiche mais bon. L'autre jour on a attaqué le Clan de l'Ombre. On était trois Clans contre un. Je n'ai ressenti aucune satisfaction ni aucune contradiction en les attaquant. Juste un grand vide. On tuait des gens, des êtres chers d'autres personnes. Et en prime, on n'a pas retrouvé Pelage de Miel, Envol de l'Hirondelle et Tâche de Léopard. Tout cela n'avait servi à rien et les morts de notre Clan étaient morts pour rien. J'aurais bien envie d'en rire si ça n'était pas triste à en pleurer.